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PSG : Ma bite et mon couteau. Journal d'un supporter. Episode 1 : Par-delà le néant

Publié le 24 Décembre 2021 à 09h14 par Star
Nous accueillons ce jour un nouveau type de papier, entre la nouvelle et la chronique. « Ma bite et mon couteau : journal d'un supporter. » est écrit par Samuel S ; l'épisode 1 se nomme « Par-delà le néant ».

MA BITE ET MON COUTEAU. JOURNAL D'UN SUPPORTER.

Épisode 1 : PAR-DELÀ LE NÉANT


C'était à la 77ème minute. PSG-Nice. Le 1er décembre. Icardi a remplacé Di Maria. Pendant un moment, je me suis demandé si c'était moi. Si c'était l'âge. Les quarantaines. La mienne, déjà bien entamée, et celles que le monde avait subies depuis deux ans. Je me suis demandé si c'était l'enthousiasme qui foutait le camp. Le cumul des choses qui n'avaient pas tourné comme prévu dans ma vie et qui niquaient désormais ma perception des évènements. Je vidais ma canette, je réfléchissais à tout ça. Et quand le changement a été effectué, une fois Icardi parti faire la carotte dans la surface niçoise, le gamin a dit: je vais me coucher. Et il s'est levé.

Tu regardes pas la fin ?, j'ai dit. Nan, je vais me coucher. Il n'avait même pas l'air dépité. Ou surpris. Mon neveu et moi, on s'était déjà fait quelques matches ensemble depuis le début de la saison. À chaque fois, une masterclass de joga bonito : les déplacements à Metz et à Bruges, la réception de Lyon, les sorties à Leipzig et à City...Il m'a tapé dans la main, je lui ai dit d'aller se brosser les dents. En s'éloignant, ne me donnant à voir que le flocage Messi sur son maillot, il a lâché : elle est pétée cette équipe, ils jouent comme des merdes. Bon, c'est mon neveu, pas mon fils, alors je suis moins à cheval sur les gros mots.

J'ai attendu que le petit se mette au lit, ça a pris trois minutes, et je me suis allumé un joint. Je suis resté seul devant la télé. Quand un gosse de neuf ans abandonne un match de son équipe alors que le score est vierge, un gosse qui vous sucerait le sang pour que l'existence se résume à bouffer des pizzas et taper dans un ballon, c'est que quelque chose est un peu parti un peu en couilles. Et ça n'avait rien à voir avec son âge ou le mien. Dans ma tête, ça turbinait. Je ne suivais plus vraiment ce qui se passait sur l'écran. Très clairement, les mouvements de la balle avaient été paramétrés en mode aléatoire. Avec ajout massif de contraintes : interdiction des combinaisons en triangle, quota obligatoire de passes en retrait, interdiction des transversale à des fins de renversement du jeu, interdiction des transmissions à un latéral engagé sur son aile. Mais c'était ok. Le néant total. Érigé en discipline. Et à mesure que les minutes tournaient, que Paredes remplaçait Kimpembé, que rien ne se passait qui puisse être assimilé à de l'envie ou à de la tactique, que plus rien ne subsistait de l'idée de beauté, que le coup de sifflet final approchait, quelque chose s'est produit.

Ce qui s'est produit, c'est que j'ai eu l'intuition de comprendre. De voir par-delà le néant. L'aspiration de QSI n'était pas la Ligue des Champions ou la vente de maillots. Fondamentalement, QSI n'en n'avait rien à carrer de vendre du tissu à des prolos et à des enfants de bourgeois. L'enjeu était ailleurs : les instances du club étaient embarquées corps et âme dans une croisade philosophique. J'ai tiré une latte de salopard sur mon cône. Je me suis calé au fond du canapé. En dépit de tous les slogans, l'aspiration de QSI, et je me suis demandé comment le truc ne m'avait pas crevé les yeux plus tôt, c'était de réduire à néant l'idée d'attente. Faire prendre conscience à chacun d'entre nous, par-delà les couleurs de peau, les convictions religieuses, les générations, que l'attente est mère de toutes les désillusions. Que l'attente est une chose mortifère. Que la victoire ou la défaite devaient être vécues par les amoureux du club comme de purs phénomènes. De purs instants. Coupés de tout avant ou de tout après. Des survenances.

Alors j'ai compris pour les mecs payés six zéros en fin de chèque. Pour les empilements d'internationaux signés en rotation continue. J'ai compris qu'il n'y avait pas d'alternative. Car pour tuer l'attente, il fallait d'abord la créer. La faire naître et puis la faire apparaître de façon éclatante pour ce qu'elle était vraiment : un gouffre. Les supporters de Lorient n'attendent rien. Ceux de Metz non plus. Ils payent leur merguez, ils chantent, et ils espèrent. Espérer est inhérent à l'être humain; attendre, en revanche, est un surplus. Une perversion. Je repensais aux saisons de crevards que nous avions connu jadis, à ces années de misère où nos gars auraient pu rester sur la pelouse trois jours sans marquer... Des visages et des noms me revenaient, devenus mythiques - Vampetta, Sergei Semak, Alioune Touré, Talal El-Karkouri, Albert Bahning, Potillon, Nouma, Igor Yanovski... Aucune de ces époques n'avait généré le degré d'étrange frustration tangible aujourd'hui.

Le jour viendrait peut-être, bientôt, où cette frustration se diluerait en un sentiment plus fécond : le détachement absolu. Tel était, je venais d'en prendre conscience, la mission que s'était assigné QSI : faire advenir ce jour. Ce jour où l'idée de remporter une Ligue des Champions serait accueillie non plus comme une promesse, une flamme qu'on nourrissait, mais comme une simple suite de mots. Des sons. Ce jour-là, les supporters auront dépassé l'attente. Dépassé ce qu'ils avaient cru être le football. Dépassé la notion d'esthétique et les errements qu'elle suscite. Ils flotteront dans la plénitude de l'instant. La plénitude du seul résultat. Didier Deschamps sera nommé entraîneur.

Le match s'est terminé. 0-0. Dans la chambre, le gamin ne faisait plus de bruit depuis déjà un moment. La caméra a glissé sur le visage de Marcel Pochetin. Près d'un an à la tête de l'équipe. Le mec avait l'air au bout de sa vie. 900 000 cachous par mois. J'ai tiré une dernière latte. QSI pouvait aller se faire baiser. Il y avait de la grandeur dans leur ambition, je ne disais pas le contraire. Il y avait de l'idée. Mais je m'accrocherai à l'attente. À la distinction du futur et du conditionnel. Et je garderais le gout des désillusions.

Samuel S

Samuel S est l'auteur de plusieurs romans sous le nom d'Olivier Benyahya, publiés notamment aux Editions Actes Sud, Allia, et Fayard. Son dernier ouvrage, une fiction graphique, ''Trigger Warning'', est paru en octobre 2020 aux Éditions Jou.
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