Le groupe Lagardère vient de dire non au rachat du PSG : comment l'interprétez-vous ?- Il y a beaucoup de spéculations autour de la vente du PSG. Mais l'idée de céder le club n'a jamais été exprimée de façon aussi définitive. Comme on spécule et qu'on ne prête qu'aux riches, le nom de Lagardère est revenu. Il connaît bien le foot et aussi Luis (Fernandez). Et son attachement au PSG est fort. Arnaud Lagardère a annoncé que le PSG n'entrait finalement pas dans la stratégie de son groupe et ça ne m'étonne pas. C'était une piste prématurée.
- Le nom de TF1 a été évoqué.
- L'actionnaire de référence de TF 1, à travers Bouygues, est François Pinault. Il est déjà engagé à Rennes et connaît les difficultés du foot. Et puis je ne vois pas Canal + vendre à TF 1. Je n'y crois pas du tout.
- La valorisation du PSG est très floue, pouvez-vous en dire plus ?
- C'est très compliqué d'estimer le PSG. C'est un produit à forte charge médiatique, certes, mais le contexte du football est difficile. Les acheteurs potentiels aimeraient surtout connaître l'avenir du foot avant de s'engager. La seule estimation possible repose donc sur les précédentes augmentations de capital. Voilà pourquoi on parle de 150 millions d'euros.
- Et l'endettement ? Les chiffres évoqués oscillent entre 20 et 60 millions d'euros.
- Laissons courir ces chiffres dans la presse. Je ne parle pas de ça. Je peux juste vous dire que ce n'est pas une dette extérieure mais un endettement de la structure vis-à-vis de son actionnaire.
- Le PSG n'a pas été considéré comme un actif stratégique par Vivendi. Cela vous émeut-il ?
- Dans une configuration resserrée, je comprends que Vivendi estime que le PSG n'est pas indispensable. Mais il ne faut pas l'abandonner comme ça. Il faut prendre son temps et trouver des solutions pour garder un lien avec ce club.
- Dans quelle optique ?
- En France, les droits télé vont être renégociés. Le format de la Ligue des champions, et peut-être même les compétitions européennes, vont être modifiés. Dans deux ou trois ans, qui sait si l'appartenance des droits télé ne reviendra pas aux clubs... À travers le PSG, Canal +, qui s'interroge sur les sommes qu'il compte verser pour diffuser du foot, peut avoir un pied dans l'organisation de ce sport en France et un autre dans une structure d'influence sur le foot européen : le G 14. Il serait idiot de brader et préférable de faire entrer des investisseurs étrangers.
- À l'image de l'entrée de la famille Kadhafi dans le capital de la Juventus ?
- Cela s'est fait à la faveur de la mise en bourse, ce qui est impossible puisque le PSG n'est pas coté. Ce qui est sur, c'est que les partenaires du club, la Ville de Paris et les sponsors, seront très attentifs à l'identité des investisseurs. Sans parler de Khadafi, ça ne ferait plaisir à personne de savoir que la mafia russe ou un réseau d'agents véreux, a pris le contrôle du PSG...
- Un récent classement de L'Équipe classe le PSG au 11e rang européen depuis dix ans : voilà un argument de vente.
- On a eu un passage à vide, comme Liverpool ou Manchester, mais je crois qu'on a les bases pour revenir à la hauteur de ce classement. On est encore jeune. Quand je dis à mes amis du Real ou de Galatasaray qu'on est nés en 1970, ils sont sidérés par notre palmarès et notre notoriété.
- Ces années de vaches maigres coïncident avec votre présidence...
- Quand j'ai accepté, je savais que ce ne serait pas facile. On m'a critiqué, on a demandé ma démission mais je suis encore là. On a fait des expériences, heureuses ou pas ; on a connu des hauts et des bas mais il y a toujours une très forte attente autour du club. On n'a pas à rougir, le club est toujours porté.
- Comment avez-vous observé, durant quatre ans, le milieu du foot ?
- D'abord, c'est un milieu qui croit que seuls les footballeurs peuvent parler de foot, ce dont je doute. Ensuite, l'amas d'argent a fait perdre la raison à beaucoup et entraîné des dérives malsaines. Mais tout cela devrait rentrer dans l'ordre plus rapidement qu'on le croit. Enfin, beaucoup de gens gravitant autour des joueurs, agents, dirigeants, accompagnateurs ou journalistes, pensent être à l'origine de la lumière qu'il y a autour des acteurs eux-mêmes. Cela crée des désillusions dangereuses.
- Vous sembliez en décalage total il y a quatre ans : ça va mieux ?
- En 1998 (décembre) il fallait surtout "sauver le soldat Ryan". J'ai prolongé ma mission car j'y ai pris gout et que j'aime l'émotion.
- Ce pourrait être votre dernière saison si le club est racheté ?
- Si c'est vendu à des gens honorables qui veulent faire grandir le club et qu'il y a un nouveau président, je lui souhaiterai bonne chance et je m'effacerai.
- L'image du PSG ne tourne- t-elle pas trop autour de Luis Fernandez ?
- C'est partout pareil. Le Barça de Johan Cruyff n'était pas celui du président Nunez. Luis Fernandez a une personnalité très affirmée, il représente une certaine continuité après avoir déjà été joueur ici (1978-1986) puis entraîneur (1994-1996). Il a laissé une trace. Les excès de sa personnalité le rendent attachant ou énervant mais ce qui comptera à l'arrivée, c'est l'efficacité. L'image du PSG n'est pas handicapée par l'expression de Luis, qui est très aimé. C'est plus irritant quand il ne peut pas s'asseoir sur le banc pendant six mois.
- Quels seront les critères du renouvellement ou non de son contrat ?
- La question ne se pose pas en septembre. Il a tous les ingrédients pour faire une très bonne saison. L'objectif, c'est la Ligue des champions, voire le titre avec de la chance. Ce sont des objectifs qu'il s'est fixé lui-même. Il a l'outil en main, normalement il doit "livrer" les objectifs. Une parenthèse : j'ai été surpris qu'après la Coupe du monde, on ne s'attarde pas sur l'analyse de l'échec français, qui aurait déterminé si Lemerre ou un autre était apte à remédier aux lacunes constatées... Ici, si le PSG rate ses objectifs en raison de la blessure de trois joueurs majeurs, on ne fera pas porter le chapeau à Luis.
- Qui décidera de son avenir dans la mesure où vous n'êtes pas sur du vôtre ?
- S'il y a un nouveau taulier, il voudra forcément regarder ce qu'il en est. Mais le nouveau taulier peut aussi estimer que le meilleur président pour le PSG est Laurent Perpère... On ne va pas arrêter la vie du club sous prétexte qu'un nouvel investisseur pourrait arriver.
- La prolongation du contrat de Fernandez serait pour vous l'occasion d'un rééquilibrage des pouvoirs...
- Ce qui se passe entre Luis et moi, et l'équilibre des pouvoirs que vous subodorez, est une affaire qui ne s'étalera pas sur la place publique. Nous n'avons pas de frictions et on a appris à se découvrir. Je comprends mieux ses espoirs et ses frustrations. Il voit quel soutien il a en son président.
- L'autre star est Ronaldinho : avez-vous eu peur de le perdre ?
- Après la Coupe du monde, certains ont considéré que la place naturelle de Ronaldinho était dans un club de meilleure renommée. Mais je n'ai jamais été inquiet, notre relation est forte. Le PSG lui permet de s'épanouir et le prépare à sa carrière. Lui bonifie l'équipe et ne change jamais de ligne sur son attachement au club. Il n'était pas question qu'on s'arrête à mi-chemin.
- Quel est le deal avec lui ?
- Il n'y en a pas. Je ne ferai rien pour gêner son épanouissement, on a une vraie relation d'estime. Sinon, on n'a reçu aucune offre, aucun fax.
- Il y a peu (Déhu ou Letizi) ou pas d'internationaux français au PSG, c'est gênant, non ?
- Il y a deux ans, on avait parié sur la jeunesse... Je le regrette d'autant moins que ni Luccin, ni Dalmat, ni Anelka ne sont en équipe de France, sans que j'en connaissse vraiment les raisons. De toute façon, mener une politque de jeunes joueurs français à la Guy Roux est impossible ici. À Paris, tu ne peux pas installer Mexès en L 1 à dix-neuf ans. À la première contre-performance, la presse le jette à la poubelle, comme c'est arrivé à Dalmat.
- Mais les joueurs français ne semblent pas vous intéresser ?
- Lesquels ? Les Lyonnais ? Ouais... Si, Armand m'intéresse. Il y a des joueurs séduisants, d'autres m'impressionnent moins. Attendons de savoir comment ces nouveaux vont supporter la pression et comment l'équipe de France va les intégrer.
- Sans jouer la carte jeune, vous auriez pu recruter des champions du monde de 1998 ?
- Leboeuf, vous voulez dire ? On m'a proposé Diomède dix fois, et je constate qu'il ne joue toujours pas. On ne cherche pas à faire des coups mais à avoir des bons joueurs. On m'a surtout proposé des champions du monde de trente et un ou trente-deux ans. À chaque fois, je me suis demandé quelle pouvait être la motivation d'un joueur qui signe son dernier contrat à Paris. Financièrement, on aurait pu, on a fait un vrai choix sportif.
- Un champion du monde aurait eu intérêt à briller avec le PSG avant la Coupe du monde 2002...
- Sur certains matches seulement, pour s'économiser ou pour ne pas se blesser. Ça se discute. Quand vous recrutez cher et médiatisé, qu'en plus le joueur ne fait pas que du foot et que vous le mettez à Paris, vous avez intérêt à être sur de lui.
- Êtes-vous sur de vos joueurs actuels ?
- Que je sache, on ne m'entretient plus de la chronique scandaleuse ou mondaine des joueurs du PSG. J'imagine que certains vont en boîte mais cela se passe plutôt bien.
- Vous avez récemment appuyé l'entrée de l'OL dans le G 14. Pour vous mettre Aulas dans la poche et peser plus à la Ligue ?
- J'ai seulement estimé qu'on serait plus forts à trois dans le G 14 pour résister à la domination du Real ou de Manchester. Déjà qu'on ne brille pas en Europe, alors, si c'est pour être marginalisés... Je n'ai pas demandé à Aulas qu'on pèse plus à la Ligue. Vous savez, ce sont les titres qui donnent du poids. Quand votre club rame, vous avez beau essayer de peser, c'est compliqué.
- N'y a-t-il pourtant pas urgence à peser plus avant la renégociation des droits télé ?
- Le problème n'est pas seulement celui du PSG mais des gros clubs. Aujourd'hui, des présidents comme Louvel (Le Havre) et Urano (Sedan) pèsent très forts.
- Cela vous gêne-t-il ?
- La solidarité, c'est bien mais, à force d'égalitarisme, on va tuer le foot français. Il n'y a que quelques clubs qui tirent les audiences et les investissements. Les gens veulent voir Ronaldinho perdre ou gagner, mais les joueurs moyens ça lasse. Or, le PSG et l'OM investissent pour le spectacle et ne sont pas récompensés. Quand on voit la différence de rétributions entre un club relégué et le PSG, ce n'est plus la peine. Ce n'est pas rémunéré. Tant mieux pour les petits clubs, mais il ne faut pas s'étonner que les grosses cylindrées se tournent vers des compétitions plus pérennes capables d'assurer leur financement et leur développement.
- Comment voyez-vous l'avenir ?
- D'abord, les clubs qui font les investissements doivent détenir les droits télés. Dans le cadre d'un système de répartition à l'anglaise, cette nouvelle appartenance augmenterait les recettes de 10 à 15 millions d'euros. Sinon, il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait des bouleversements. Un club comme Paris ne trouve pas son compte dans le Championnat de France. On y participe, on est fiers, on a envie d'être champions pour se qualifier pour la C 1, mais...
- Vous n'auriez aucune réticence à participer à un éventuel Superchampionnat européen ?
- On n'en est pas là mais on étudiera tout. Quand on voit que l'UEFA crée un forum des clubs qu'elle ne consulte même pas lorsqu'elle modifie le format de la Ligue des champions, il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait de nouveau projets du genre de celui de Media Partners. Il va se passer des choses, il y aura des bouleversements.
- Les cinq demi-finales du PSG entre 1993 et 1997, c'est devenu inaccessible ?
- C'était avant l'arrêt Bosman, on a changé de monde. Où seraient aujourd'hui les joueurs du PSG de l'époque ? Ni au PSG ni à l'OM. Le public est nostalgique ? Moi aussi.
- Que manque-t-il au PSG pour rivaliser sportivement avec les clubs du G 14 ?
- Sans vous ressasser la complainte sur les charges, il manque du temps. Des résultats réguliers pendant quelques saisons. On est en bonne voie.
- L'OM aussi semble sur la bonne voie.
- Et je m'en réjouis. Nos supporters veulent voir leur équipe devant un OM fort. Maintenant, c'est dans l'épreuve qu'on voit les assises et les capacités d'un club. On verra dans les faux pas si la situation est clarifiée. En attendant, pourvu que ça dure.
L'Equipe