Petit rappel des faits : le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire depuis plus de 3 mois pour "abus de biens sociaux, complicité et recel" à la suite d'une plainte de Canal+ (propriétaire du club) sur les transferts effectués entre 1998 et 2003.
Une enquête préliminaire à la brigade financière sur les comptes de la FFF pour la saison 2002-2003 est également en cours : le déficit annoncé de 62 000 euros serait en réalité de 14 millions d'euros.
Enfin, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené, le 17 février, 19 perquisitions dans des clubs, à la FFF, à la Ligue de football professionnel, à Canal+, à TPS, à Eurosport et dans des sociétés liées à Jean-Claude Darmon, relatives à "la gestion des droits dans le football professionnel et de la publicité dans les stades" . Le Monde propose un entretien avec ce dernier.
Comment vivez-vous le fait de voir votre nom apparaître dans plusieurs affaires liées au football français ?
Je suis loin d'être le seul cité, et je suis le seul qui a été entendu comme simple témoin et non comme mis en examen ou témoin assisté. Il faut rétablir l'ordre des implications. Comme d'habitude, un amalgame a été fait entre différents faits qui n'ont aucun lien les uns avec les autres et un homme plus médiatique que d'autres. Je n'ai rien fait qui puisse m'être reproché. Il y a deux affaires où mon nom ne devrait simplement pas figurer : l'enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l'affaire sur les transferts du PSG.
Sur quoi votre audition devant la police financière, le 21 avril, a-t-elle porté ?
Sur les transferts du PSG, et sur le cas de Ronaldinho en particulier. J'ai été convoqué par la police, comme simple témoin. J'ai pu expliquer qu'à la création de Sportfive -fusion du Groupe Jean-Claude Darmon et de UFA Sports et Sport +-, en 2002, soit un an après la signature du contrat entre Ronaldinho et Sport + -filiale de Canal+, Sportfive a hérité du contrat. Une filiale hollandaise de Sport + possédait alors les droits d'image du joueur. En découvrant le contrat dans un audit interne, j'ai demandé à Canal+, au PSG et au responsable de la société hollandaise quelle était sa portée. Tous m'ont expliqué qu'au moment du transfert de Ronaldinho, le PSG s'acquitterait de sa dette à l'égard de cette société hollandaise. C'est ce qui s'est passé. Le joueur a été transféré par la seule volonté du PSG au FC Barcelone avec la garantie de Canal+ pour le paiement des sommes dues par le PSG à Sportfive. Rien d'anormal n'apparaissait, ni le PSG ni Canal+ ne m'ont révélé quoi que ce soit qui puisse paraître anormal. Quand Ronaldinho a quitté le PSG, je n'ai participé ni de près ni de loin au transfert.
Concernant les autres affaires, notamment celles qui ont trait aux finances de la Fédération française de football (FFF), on vous reproche d'avoir pu prolonger votre contrat de mandataire sans appel d'offres...
Je n'ai accepté cette prolongation avec la FFF qu'après avoir demandé conseil à mes avocats, qui m'ont garanti que nous n'étions pas obligés de passer par un appel d'offres. Je ne suis qu'un agent au service de la FFF, et non un acquéreur pour son compte de droit. A elle de choisir avec qui elle souhaite travailler.
Parlons du Club Europe, ce regroupement de six clubs français à qui Canal+ a acheté un droit d'option sur leurs droits télévisés dans l'hypothèse où ils en deviendraient un jour propriétaires : cette entité n'a-t-elle pas servi de groupe de pression pour Canal+ en vue de l'attribution des droits TV de la Ligue 1 ?
Cet argument n'a pas de sens. Alors que le Club Europe n'existe plus depuis deux ans, Canal+ vient d'acquérir l'exclusivité du championnat de France pour 600 millions d'euros par an. Son concurrent, TPS, n'avait proposé que la moitié. Qui plus est, les deux précédentes attributions à Canal et à TPS avaient fait l'objet d'un accord entre les deux diffuseurs et la Ligue. Je ne vois pas, à la lumière de ces faits, quel lobbying a pu être exercé, ni au préjudice de qui.
Reste que plusieurs membres du Club Europe étaient également membres du conseil d'administration de la Ligue.
Cela ne change rien. Ils n'étaient que trois ou quatre dans cette situation, alors que le conseil d'administration de la Ligue comprend vingt personnes. C'est un mauvais procès.
Etant donné que la loi n'a jamais autorisé les clubs à commercialiser eux-mêmes leurs droits télévisés, peut-on vous reprocher d'avoir vendu des droits "virtuels" ?
Des droits d'option, il en existe dans tous les secteurs économiques. Dans l'industrie de la pharmacie, par exemple, il est d'usage de voir les laboratoires acheter des options aux chercheurs travaillant sur de nouveaux médicaments.
Les sommes en jeu étaient tout de même énormes. Canal+ devait verser 252 millions d'euros entre 1999 et 2005.
Ce n'est pas grand-chose à côté de ce que représentent les droits télévisés du foot français. Canal+ ne devait verser en moyenne que 36 millions d'euros par an au club Europe alors que la chaîne vient de mettre 600 millions d'euros par an pour la Ligue 1.
L'enquête de la DGCCRF reprend également des propos de Patrick Proisy, ancien président du RC Strasbourg et ancien directeur général d'IMG-France, affirmant que vous avez contribué à l'élection de Gérard Bourgoin à la présidence de la Ligue, en 2000, en échange de contrats...
C'est un tissu de mensonges. N'oubliez pas que M. Proisy a été mon concurrent en affaires. Il n'a jamais rien gagné dans sa vie. Il prétend que c'est moi qui ai agi pour qu'il ne soit pas réélu à la Ligue. Cela me fait doucement rire quand je vois qu'il n'a fait que 5 % des voix aux élections de la Fédération française de tennis avec Yannick Noah sur sa liste ! M. Proisy participe à l'amalgame dont je suis l'objet. Tout comme L'Equipe, qui est également mon concurrent en tant qu'organisateur d'événements sportifs. Ce journal m'assassine matin et soir. Même un serial killer n'a pas ce traitement.
Vous sentez-vous victime de votre propre réussite ?
Je ne suis victime de rien. On n'aime pas que des autodidactes aient du succès. Si j'étais né héritier d'une grande famille ou si j'avais été énarque, personne ne se demanderait d'où vient mon argent. Or je suis né dans la rue et j'ai réussi. Cela fait trente-cinq ans que je fais ce métier dont je suis à l'origine. Le football, c'était le Far West à l'époque. On est parti de rien. J'ai accompagné son développement et sa modernisation. J'ai eu des idées, lancé des projets, mené des combats énormes, contre la corruption notamment. J'ai su créer, inventer, au plus grand profit du football, en général. Il est stupide de croire que c'est la "pognonite" qui m'a fait avancer. Demandez-vous qui, des institutions, des joueurs ou des diffuseurs, par rapport à Jean-Claude Darmon, a gagné le plus d'argent ?
Pourquoi le football français est-il secoué tous les cinq ans par des affaires ?
Il y aura toujours des affaires dans le foot. Tout comme il y aura toujours des affaires dans l'industrie, dans la politique... C'est un métier d'hommes. Ce sont les hommes qui disjonctent, pas le foot.
Propos recueillis par Hervé Gattegno et Frédéric Potet pour Le Monde.