Après la fin du championnat, l'ancien entraîneur du PSG, Vahid Halilhodzic se livre sans complexe dans une interview à l'hebdomadaire "France Football". Jérôme Rothen et Canal + font partis des cibles de l'entraîneur bosniaque qui part avec "la fierté du travail accompli".
"Pourquoi sortez-vous aujourd'hui de votre silence ?
Parce que la caricature, aussi facile et amusante soit-elle, a ses limites. Parce que je ne supporter plus cette fausse image d'un adjudant borné du foot que certains ont réussi à me coller. Depuis ma mise à l'écart, je savais que chacun de mes propos provoquerait aussitôt la polémique. Ma parole était devenue maudite. Il y avait aussi des raisons d'ordre strictement juridique : la procédure de licenciement pour "faute grave" engagée à mon encontre repose, à 80%, sur la communication. Mais qu'ai-je pu dire d'aussi grave, d'aussi terrible ? Le jour de la présentation à la presse de Semak (NDLR : qui, lui, était tout sourire) j'ai précisé qu'il ne "savait pas où il mettait les pieds". Ou encore cette fameuse phrase selon laquelle Francis Graille aurait une "dette" envers moi. Je voulais simplement expliquer qu'ensemble à Paris nous avions plus gagné que perdu de matches. Rien de tout cela n'est sérieux. Je ne veux plus être le bouc émissaire. Si j'en suis un, c'est parce que je n'appartiens, et n'appartiendrai jamais, à aucun lobby.
Quelle est votre part de responsabilité dans l'échec sportif du PSG cette saison ?
Dans les mauvais, mais aussi dans les bons résultats, la part de l'entraîneur est indiscutable.Je considère n'avoir rien d'essentiel à me reprocher. Je ne regrette rien. Je suis même fier du travail accompli. En réalité, il s'agissait d'une mission impossible car, partout, il y avait des pièges tendus et des trahisons annoncées.
Alors pourquoi est-ce que ça n'a pas marché ?
Pour de multiples raisons, nous n'avons pas réussi à construire un groupe, solide, uni. Il y avait aussi des jalousies entre joueurs, bien sur, mais cette explication est insuffisante. J'ai été trompé par le stage de préparation : il s'était formidablement bien passé. J'étais si confiant que je n'ai pas su anticiper les motifs de crise : des incertitudes sur le montant des primes et, surtout, l'affaire Fiorèse. Je ne m'y attendais pas. Les "taupes" ensuite, ces fameuses "taupes" dont on m'a tant reproché d'avoir révélé l'existence. Mais elles détruisaient, de l'intérieur, la vie du groupe. Dans mon esprit, le vestiaire est un lieu sacré. Celui du PSG était devenu une passoire. Je n'insisterais pas sur les blessures à répétition, les expulsions imméritées, les penalties contestables, et surtout, ce conflit avec les supporters dans lequel je n'étais pour rien. Sans cette épouvantable ambiance du Parc des Princes, nous aurions gagné quelques matchs supplémentaires. Je n'oublierais jamais la détresse de Pauleta après son pénalty manqué contre Toulouse. Il ne comprenait pas pourquoi le public l'avait sifflé avant même qu'il tire. Tous les joueurs étaient choqués, traumatisés. Ils se posaient et se reposaient la question : "Pourquoi ?". Je n'insisterais même pas sur les autres épisodes du feuilleton PSG : les perquisitions judiciaires au siège du club, l'offensive ridicule de Daniel Hechter pour reprendre le contrôle du PSG, les pressions perpétuelles exercées par Luis Fernandez et son entourage, l'interminable feuilleton de l'entrée de Francis Graille dans le capital du club. Tous ces éléments mis à bout, j'aurais du comprendre que les évictions, la mienne puis celle de Graille, étaient programmées. En dépit des apparences, je suis un naïf.
La saison précédente, l'équipe était un modèle de solidarité. Comment expliquer cette dégringolade ?
Nous nous sommes vus trop beaux, trop forts. D'une saison à l'autre, certains joueurs étaient devenus méconaissables, vaniteux, prétentieux, égoïstes et individualistes. Très vite, José-Karl Pierre-Fanfan, le nouveau capitaine, m'a confié qu'il ne pouvait se permettre la moindre remarque envers ses coéquipiers. Ce qui nous a fait le plus mal, ce sont les résultats exceptionnels de ma première saison à la tête du club. Sur ce coup-là, j'ai été nul en... communication. Les responsables de la réussite du PSG en 2003-04 ? Les joueurs, bien sur. Le responsable de l'échec en 2004-05 ? Halilhodzic. Intellectuellement et moralement, c'est d'une rare injustice ! Quand le PSG gagne, je suis français : quand le PSG perd, je redeviens bosniaque. A mon sujet, j'ai tout lu, tout entendu, jusque des remarques insuportables, "l'abobinable tyran bosniaque". Oui, ç'a été écrit ! Celui qui n'aime pas les Yougoslaves, les Argentins, les Espagnols, les Brésiliens, que sais-je encore ? Ljuboja, que j'avait fait venir, sur le banc ? Il n'était pas titulaire parce qu'en un an il n'avait marqué qu'un seul but, voilà tout.
Les joueurs vous reprochent surtout de ne pas les avoir écoutés. Déhu a rapporté l'une de vos formules "On est en démocratie, mais c'est moi qui commande".
En France, aujourd'hui, la mode veut que les joueurs choisissent l'entraîneur, les méthodes de travail, la tactique, etc. On a vu, par exemple, les résultats de telles pratiques dans un club qui m'est cher, Nantes. Mais Guy Roux se comporte-t-il différemment de moi ? Et Fabio Capello, à la Juventus ? Et José Mourinho, à Chelsea ? Et Felix Magath, au Bayern ? Les journalistes encensent leur exigence de discipline. Mais, ils dénoncent mon "autoritarisme". Pourquoi deux poids, deux mesures ? Je ne veux plus laisser dire n'importe quoi. Dans mon travail, je délègue en permanence. Je n'ai jamais recruté un joueur sans consulter mon staff technique et la cellule de recrutement. Quant à la décision finale, elle revenait au président. Je n'ai jamais refusé la moindre demande d'un joueur dès qu'elle concernait le collectif. Je n'ai cessé de solliciter le dialogue avec les jouers. Mais certains d'entre eux en avaient visiblement peur. Peur de quoi ? De mon esprit, il n'y a que le tricheur, le magouilleur, qui peut craindre quoi que ce soit. J'ai commis l'erreur d'interdire l'accès de la salle de presse du Camp des Loges à certains journalistes. Mais c'était à la demande expresse des joueurs ! Quand les journaux, à ce propos, se sont déchaînés contre moi, aucun d'entre eux n'a pris la parole pour rétablir la vérité. Une sacrée leçon de vie ! Je ne suis pas surpris que des joueurs, Cissé ou Ljuboja par exemple, me critiquent aujourd'hui. Je le suis d'avantage quand il s'agit de Letizi, d'Alonzo ou de Rothen. Jérôme Rothen devrait faire attention. Après deux matches au Parc des Princes, il a parlé, beaucoup et trop.
Qu'auriez-vous du faire ?
Ecarter, sans hésiter, un ou deux joueurs. Car dans un club digne de ce nom, un joueur ne critique pas en public son club, son président, son entraîneur. Toute récrimination, aussi légitime soit-elle, doit rester à l'intérieur du vestiaire. C'est cela l'esprit club. Aucun joueur du PSG ne pourrait, les yeux dans les yeux, dénoncer mes séances de travail. Avec toutes les difficultés rencontrées, il aurait fallu obéir à un triple commandement : se taire, se concentrer et travailler. Au coeur de la tourmante, j'avais un rêve : que le PSG fonctionne comme la Juve quand l'équipe italienne connaît une mauvaise passe. Silence absolu et travail forcené pendant un mois pour relancer la machine et le club. La saison prochaine, si nous avions pu recruter trois ou quatre joueurs, PSG jouerait à coup sur le titre, et la Ligue des Champions les deux années suivantes. J'étais prêt à ne toucher mes salaires qu'au terme de mon contrat, et pas un euro avant.
Quand vous êtes limogé en février, vous croyez donc à un rétablissement ?
Bien sur. Le PSG pouvait finir quatrième ou cinquième du Championnat et gagner la Coupe de France. Pour la première fois dans ma carrière d'entraîneur, je subissais une crise de résultats. Nous pouvions la surmonter. Je pensais disposer d'un peu de crédit. Ce que je n'ai pas supporté ? Le mensonge, la duplicité. Trois jours avant mon licenciement, Bertrand Méheut, le PDG de Canal +, et Francis Graille m'assuraient encore de leur soutien. Ils me disaient de "m'accrocher", de ne tenir aucun compte d'une campagne médiatique si injuste.
Estimez-vous avoir été trop seul ?
Au PSG, comme à l'OM, un entraîneur ne peut pas travailler seul. Il doit être entouré, soutenu, protégé. Certes, avec mon staff, nous avons été unis et déterminés à suivre le chemin défini. Aucune faille, jamais. Mais aux dirigeants, c'est vrai, j'avais demandé du soutien. Aujourd'hui, l'entraîneur n'est qu'un fusible. Cette situation détestable démontre la faiblesse des présidents et des clubs. Prenons l'exemple de ma relation avec Francis Graille. Auparavant, entre lui et moi, il n'y avait jamais la moindre divergence. Cette saison, nous n'avons jamais dîné en tête à tête. Il était débordé. Je travaillais douze à quatorze heures par jour au Camp des Loges. Et nous n'avons rien compris à ce qui se tramait dans notre dos ! Francis Graille m'a même avoué un jour qu'il redoutait que son téléphone ne soit sur écoute. Nous discutions dans son bureau. Le lendemain, je lisais la transcription de nos échanges dans les journaux. L'arrivée d'un nouveau directeur de la communication a notoirement contribué à construire un mur entre Graille et moi. La suite, son départ, l'arrivée de Pierre Blayau, tout cela ne pouvait plus m'étonner.
Avez-vous été victime d'un jeu de dupes ?
J'ai été naïf, utilisé, puis sacrifié. J'ai fait le sale boulot et d'autres en récolteront les fruits. Aujourd'hui, j'exige pourtant de chacun un minimum de mémoire. Lorsque je suis arrivé, il y avait trente-cinq contrats pros ! Avec des clauses financières plus incroyables les unes que les autres ! L'actionnaire et le président ont exigés que je réduise le train de vie du PSG. J'ai assumé leur volonté. J'avais, par exemple, pour mission de débarasser le club des salaires les plus élevés. Dans le même temps, je devais répondre à d'autres demandes, apparemement contradictoires : rétablir la situation économique mais aussi améliorer l'image du club et obtenir des résultats sportifs. Un sacré défi ! Dans ce contexte, j'avais établi un plan sur quatre saisons. Un cycle normal et cohérent. Chelsea, avec ses milliards et ses stars, a patienté trois saisons avant d'être champion. Si on m'avait expliqué que seul comptait le résultat sportif immédiat, j'aurais procédé différemment. J'aurais, par exemple, mis mon véto au départ de Ronaldinho. Avec lui, nous aurions à coup sur été champions. Certains de mes détracteurs insistent sur plus de 40M€ dépensés en transferts. Mais ils oublient de préciser que nous avons négocié pour 45M€ de départs. Ils oublient encore de préciser que, faute d'investissements, nous avons renoncé à Essien, à Malouda, à Wiltord, à Pedretti, à Abidal... J'étais en contact avec eux, tout était quasiment prêt. Mais nous n'avions pas d'argent. Dans ce contexte, certains peuvent critiquer les recrutements de Pichot, de Helder, d'Ateba ou de Coridon. Mais, à l'origine, ils n'étaient que d'excellentes doublures. Avant même mon arrivée, il était convenu que Heinze soit transféré à l'issue de la saison 2003-04. Avec cet argent, nous avions prévu de recruter deux bons joueurs. Mais la somme versée par Manchester United avait déjà été comptabilisée dans le budget précédent. Pour combler les passifs.
Peut-on avoir raison seul contre tous ? Pourquoi être resté aussi intrasigeant ?
Pour améliorer l'ambiance, il aurait suffi de restaurer les petits avantages, les petits privilèges d'antan, tout ce que les dirigeants de Canal + nous avaient demandé, à Francis Graille et à moi même, de supprimer. Mais j'ai un grand tort : je respecte ma parole. Je n'avais qu'une priorité en tête : les interêts du club. Alors, j'ai agi trop tôt, trop vite, trop fort. Je n'étais pas assez costaud pour faire face aux multiples entreprises de déstabilisation.
Avez-vous des pistes pour retrouver un poste ?
A l'étranger, oui. Chez nous, en France, les entraîneurs qui ont du caractère et de la personnalité, ceux qui exigent de la discipline et beaucoup de travail, n'ont guère la cote. On m'a acolé une étiquette. Je suis devenu indésirable. J'exprime les choses trop crument, je ne serais jamais un faux-cul. Pourquoi, par exemple, ne fait-on pas l'analyse de mon travail tactique et technique, collectif et individuel ? Pourquoi ne décortique-t-on pas les matchs de la Ligue des Champions du PSG à Chelsea et à Porto, dans la poule la plus difficile du tour préliminaire ? Peut-être parce que ce serait reconnaître la qualité de notre travail. Aujourd'hui, je suis le coupable idéal. Mais je suis parti la tête haute, avec la fierté du travail accompli. Avec moi, le PSG a gagné une Coupe de France et participé à la Ligue des Champions. La situation économique est stabilisée. Les bases de l'équipe sont solides. Les contrats des joueurs sont enfin clean, sans aucun danger pour le club. Voilà le vrai bilan Halilhodzic. Je suis très déçu, c'est vrai, d'avoir été lâché en plein vol par des dirigeants qui savaient que nous étions sur le bon chemin. Vous verrez qu'un jour, peut-être, on me regrettera. Tant pis pour moi, dommage pour le Paris-SG."
par France Football