Arrivé à Auteuil au milieu des années 1990, comme simple supporter, j'ai ouvert grand les yeux et les oreilles pour essayer de comprendre comment ça se passait. Ce qu'il fallait faire ou pas. Et j'ai retenu quelques leçons. Comme je suis un garçon simple, les règles que j'ai retenues se devaient de l'être, elles-aussi. Voilà la leçon que j'ai retirée de cette expérience auprès de mes aînés :
- Siffler nos joueurs c'est cracher sur nos couleurs.
- On encourage notre équipe jusqu'à la fin du match.
- Notre honneur est dans notre fidélité.
Et voilà. J'ai même pas besoin de 10 lois sur mes tables. Trois m'ont suffit, et pendant douze ans j'ai tenu grâce à elles. De Boulogne au Virage Auteuil, je suis allé partout au Parc. Au SDF, à Chelsea, Lorient ou Metz, par exemple. De Gueugnon à Guingamp en passant par Gerland, en déplacement aussi j'ai toujours appliqué ces trois préceptes.
On ne siffle pas. On encourage 90 min. Honneur = fidélité
J'ai vécu des cauchemars de supporter depuis les tribunes. Finale PSG – Gueugnon, sous une pluie torrentielle. Déplacement contre Metz, pare-brise fendu par la grêle au retour, après une pitoyable défaite. Naufrage contre Auxerre, 0-4, avec charge des supporters à la clef. Des matches dans un froid atroce, des fins de règne démentielles, des joueurs navrants, des entraîneurs lynchés, des défaites outrageantes. Mais toujours j'ai tenu. Même quand on me retirait tout, j'ai réussi à garder LE truc.
On m'a retiré le plaisir de voir mon équipe gagner plus qu'à mon tour. Mais jamais je n'ai sifflé mes joueurs, ni même un entraîneur. Jamais. On m'a retiré la joie de voir de jolis matches, du beau jeu. Je m'en fichais, même quand on n'arrivait pas à aligner deux passes, j'ai toujours chanté jusqu'à la fin. Il le fallait. Contre Troyes, ça m'a apporté l'une des plus belles joies qui soit... Le plus souvent, ça m'a apporté beaucoup de frustration et de rage. Mais j'ai tenu. On m'a retiré la fierté de supporter un grand club, en le raillant encore et toujours à la télé, dans la presse écrite. J'ai lu des horreurs, supporté des pamphlets honteux. Mais j'ai trouvé la force d'y répondre, de défendre mon équipe, parfois contre toute logique, en serrant les dents. Il m'en a fallu de la mauvaise foi, de l'absurde et de l'autodérision, mais toujours j'ai répondu à ceux qui attaquaient mes couleurs. Je suis resté fidèle. Fidèle. Pour l'honneur.
Tous ceux que j'ai côtoyés en tribune et dont je me suis inspiré, tous ces maîtres que j'ai choisi d'imiter, qui ont guidé ma progression de petit supporter, tous ces modèles qui ne me connaissent même pas et auxquels je ne demande rien auraient pu être fiers de moi. J'ai fait ma part du boulot.
Pas mieux que les autres. Pas moins bien. J'ai toujours supporté mon équipe. Et ça, je l'ai gardé en moi. Ma fierté elle était là.
Sauf que ce soir, contre Tel-Aviv, je n'ai pas réussi. Ce soir, à quinze minutes de la fin, j'ai lâché. Je suis à Auteuil, en rouge. Sous la bâche des Supras. Ils ont tenté de nous remotiver, Sélim nous a portés à bout de bras. Tellement longtemps. Il a essayé tellement longtemps. Qui peut lui reprocher d'avoir lâché, à lui ? Il a fait tout ce qu'il a pu. En G, à côté, les ATKS ont été admirables. Ils ont réussi à pousser encore, et encore... Mais je n'en pouvais plus. Pour la première fois, je n'en pouvais plus. Les SA91 ont rangé leur bâche avant la fin. Le micro s'est tut. Les ATKS ont sombré eux aussi malgré tout leur courage. Personne ne peut leur faire un reproche là-dessus. Bien au contraire. Mais je me suis assis. Les jambes sciées. J'ai arrêté de chanter ce soir.
Mon honnêteté intellectuelle, ça fait bien longtemps que je l'ai laissée en chemin. J'ai fait de la propagande pour le PSG. C'était mon travail. J'ai menti pour défendre ce club, j'ai caché la vérité, j'ai arrangé des textes, trompé, déformé, toujours pour mon club. J'en ai écrit des textes scandaleux pour soutenir ce club. J'assume. Mon plaisir, mon amour du jeu, après les défaites, ils m'ont abandonné. Mais pas mon honneur de supporter. Ca, je l'ai conservé comme mon trésor le plus précieux. Mon honneur, c'était ma fidélité. Combien de fois j'y ai pensé en tribunes. Mon honneur, c'est ma fidélité. Il faut tenir.
Au milieu des gars qui sifflaient Le Guen en 1997, qui insultaient El Karkouri en 2004, et tous les autres entre temps, du meilleur au moins bon. Au milieu de ceux qui demandaient la démission de Luis, crachaient sur l'un ou l'autre, j'ai toujours tenu. Parce qu'il me restait mon honneur, et parce que je voulais le préserver. Je n'avais plus que ça...
Quand on s'assied et se tait, que nous reste-t-il ?
Mais là, je suis vidé. Ce soir, après ce match, ces buts casquette, notre égalisation, l'espoir de revenir, de remonter... avant de sombrer. De plonger. C'était trop dur ce soir. Humainement, c'était trop dur. Je n'ai pas réussi. Je n'en peux plus.
Je ne cherche pas d'excuse. Je n'ai pas d'excuses. Il ne peut pas y en avoir. Supporter le PSG c'est pas quand ça va bien seulement. C'est pas si on aime le coach seulement. C'est pas que quand on gagne, ou quand ça nous arrange. On n'est pas des enfants gâtés. On a choisi d'être là. Supporter c'est jusqu'au bout, même dans la défaite, même quand l'équipe est nulle. Pour pouvoir dire : « bah au moins j'ai tenu. Moi, j'ai gardé ça, cet honneur là. Ca ne change rien pour les autres, mais pour moi c'est important. Il me reste ça. »
Moi, après cette soirée, il ne me reste rien. Je ne suis plus un supporter. Je n'ai plus rien. Pendant ce temps-là, un supporter est mort... Il ne me reste rien et ça n'a aucune importance comparé à ça. AUCUNE.
Plus rien n'a de sens. Nous souffrons tous. Nous ne comprenons même plus pourquoi. Et ça n'est même pas un cauchemar.