D E au PdP
Assis sur le fauteuil de cuir noir, François Valloire recommença son témoignage, encore une fois... Et début le début.
Réussir à décrocher le poste de responsable des relations publiques du PSG avait représenté un rêve pour lui. Et ce rêve était devenu réalité il y a quelques mois. Recevoir des stars du show-biz, organiser les réceptions d'après match, tout cela se révélait chaque jour plus agréable encore que ce qu'il avait imaginé. Ensuite, il y avait tout ce qui consistait à gérer la presse. Cirer quelques pompes de journalistes afin d'éviter les articles trop acerbes dans les quotidiens du lendemain... Mais cela ne le dérangeait pas non plus : François avait toujours été doué pour cirer les pompes. En fait, il se sentait fait pour ce boulot, et avait cru que ce boulot était fait pour lui...
Jusqu'à mercredi dernier, et ce fameux PSG – Lorient.
S'il avait été sportif de haut niveau, L'Équipe aurait écrit que le responsable des relations publiques du club de la capitale était passé au travers de son match. Mais là, au sein du PSG, ses collègues se contentaient de dire qu'il avait complètement merdé. Pas vraiment plus agréable à entendre...
Valloire pouvait se remémorer chacun des instants qui avaient émaillés cette soirée de match cauchemardesque : son stress, comme il attendait à l'entrée VIP du siège du Parc des Princes. Le fait que pour la première fois, il aurait préféré avoir choisi une autre voie professionnelle au sortir de sa grande école. Tiens, pourquoi pas la grande distribution ? C'était très bien ça aussi, la grande distribution... Sauf qu'il était bien trop tard pour tabler sur une reconversion lui permettant d'échapper à l'épreuve du jour quand il en avait eu l'idée... Dieter Erlenmeyer se dirigeait déjà vers lui. Et le vieux arborait un air encore plus désagréable que sur la photo qu'on avait confiée à François peu auparavant, afin qu'il puisse reconnaître instantanément cet homme qu'il n'avait pourtant jamais vu. Vous pensez : un nouvel actionnaire américain venu déterminer quelle stratégie les fonds de pension allaient appliquer au club de la Capitale. Il eut été ballot de le laisser poireauter devant le stade... Un homme qui avait la réputation de démanteler une entreprise pour mettre au chômage des centaines de pauvres gars, le tout avec la même recette que Diané quand ce dernier frappait au but : les yeux fermés et sans penser à rien. Sauf que la banquier ne ratait pas sa cible, lui...
En gros, les consignes qu'on lui avait délivrées étaient les suivantes : si Erlenmeyer ne quittait pas le Parc des Princes enchanté par sa soirée, et convaincu que le PSG était une entreprise susceptible de générer d'énormes profits, François Valloire, ainsi que tous les autres salariés du club pouvaient d'ores et déjà commencer à consulter les petites annonces de l'ANPE. Des consignes d'une cruelle limpidité.
François essayait de ne rien oublier dans son récit, d'évoquer chaque instant. Il y avait eu celui où toute l'eau que sa gorge aurait normalement du contenir avait déménagé en un clin d'œil pour se retrouver dans son intégralité sur la paume de ses mains, pendant que le banquier marchait vers lui...
Dans les souvenirs de Valloire, Dieter Erlenmeyer s'était approché d'un pas tremblant sur le tapis rouge, passant devant les vigiles comme s'ils n'avaient jamais existé. Le Parisien avait été incapable de lui donner un âge précis. Soixante-dix ans, peut-être ? Sans doute davantage.
Tassé et décharné, l'actionnaire portait un costume trois pièces qui ne laissait aucune place au doute : c'était anglais, sur mesure, et hors de prix. Ses chaussures, à faire pâlir d'envie jusqu'à Roland Dumas devaient bien à elles seules valoir plusieurs mois de salaires d'un responsable des relations publiques moyen. Son visage, percé de deux yeux délavés était juché sur une paire d'épaules si maigres qu'on eut dit que le moindre coup de vent pouvait les briser en morceaux. Mais il émanait de sa personne l'inflexible autorité de ceux que la vie avait habitués dès l'enfance à voir toutes leurs exigences remplies dans l'instant. Sa bouche évoquait plus une fine ligne blanche qu'autre chose, et François préférait ne pas tenter d'imaginer à quoi elle ressemblerait si M. Erlenmeyer se mettait à sourire. A dire vrai, personne ne pouvait imaginer Dieter Erlenmeyer en train de sourire...
Rassemblant le peu de courage qu'il lui restait, le salarié du PSG avait tendu une main moite en direction du haut-dirigeant de la banque américaine :
- Monsieur Erlenmeyer, je suis François Valloire. C'est un honneur de vous recevoir enfin pour votre première venue ici !
- Oui. En effet, répondit l'actionnaire en glissant une main flasque et glaciale dans celle du pauvre Parisien. C'est un honneur. Pour vous.
Agréable, ça commence bien, avait songé le responsable parisien... Erlenmeyer avait ensuite jeté un regard circulaire autour de lui, avant de reprendre, d'une voix atone :
- C'est donc cela, le Parc des Princes ?
- Oui monsieur. François se souvenait de son soulagement, alors qu'il pouvait embrayer sur son laïus habituel, et se raccrocher à un thème qu'il maîtrisait. Aujourd'hui encore il pouvait répéter son discours au mot près :
- C'est une oeuvre de l'architecte Roger Taillibert, datant de 1972. Cet architecte a également construit le siège social où nous nous trouvons actuellement, trente ans plus tard. Le Parc des Princes est le premier stade à bénéficier d'un éclairage intégré dans le toit et non monté sur pylônes. Grâce à sa structure de béton armé et à ses portiques en porte-à-faux, il évoque...
- Une vieille coquille d'insecte crevé sur le dos, l'avait coupé Erlenmeyer d'un ton sec. Quant à votre siège social, on dirait une palourde en tôle ondulée. Ridicule.
Décontenancé, Valloire avait alors cherché du regard une aide extérieure qui n'était jamais venue, un tic nerveux lui déformant la joue gauche. En désespoir de cause, il avait du se résoudre à tenter le gloussement poli...
- Des images peu orthodoxes, monsieur, mais très amusantes. Spirituelles. Mais vous me permettrez de...
Ne prenant même pas la peine de l'écouter, l'actionnaire s'était alors dirigé vers les escalators, laissant le responsable parisien figé sur pied.
François revivait en boucle toutes ces humiliations depuis cette affreuse soirée. Il ressentait encore son malaise avec une netteté blessante, des jours après. Et devoir le raconter une nouvelle fois n'arrangeait rien à l'affaire.
C'était à ce moment précis, alors que Erlenmeyer laissait Valloire en plan, qu'un homme entre deux âges, affublé d'un attaché-case marron, avait glissé à l'oreille du Parisien médusé :
- Ces images n'ont rien d'amusant. D'ailleurs M. Erlenmeyer ne plaisante jamais. S'il dit que ça lui fait penser à une palourde, c'est que ça lui fait penser à une palourde, point final. Mais vous vous habituerez, avec le temps. Je suis Waylon, secrétaire particulier de M. Erlenmeyer. Dépêchez-vous, il va nous attendre, ça va le mettre de mauvaise humeur.
François Valloire avait jeté un regard vers le haut de l'escalator. Comme il apercevait l'actionnaire américain inspecter de haut en bas la tenue du serveur placé à l'entrée du salon VIP avant d'en critiquer la couleur à haute voix ; l'inquiétude et la surprise marquaient ses traits.
- Ah, parce que là il n'est pas encore de mauvaise humeur ?
Et la suite avait été du même acabit. Après que François ait monté quatre à quatre les marches, il s'était rendu dans la salle de réception afin de présenter l'actionnaire aux dirigeants du club. Présentations qui s'avérèrent aussi gênantes que dans le pire cauchemar du responsable des relations publiques. Non, merci pour cette flute, mais M. Erlenmeyer n'aimait pas ce genre de champagne... Du Cristal de chez Roederer, et l'autre n'aimait pas ça ? Autant lui boire sa flute, mince, au prix de la bouteille ! Valloire avait ensuite essayé de mettre l'Américain en relation avec une des charmantes demoiselles que comptaient toujours ses réceptions, sa marque de fabrique...
Echec complet. Et re-flute de champagne, histoire de se donner du cœur.
Après tout, François n'était pas du genre à se décourager pour si peu. Esprit ouvert et pragmatique, Valloire tenta alors le coup de la présentation avec un charmant damoiseau. On ne sait jamais, le PSG parrainait bien le club du Paris Foot Gay !
Re-échec cuisant, mais ce coup-là avec oeillade meurtrière en prime. Diable...
Le moral déjà atteint, le responsable des relations extérieures avait carrément reçu le coup de grâce quand il s'était entendu répondre que les petits fours de chez Le Nôtre faisaient trop mal aux dents pour que M. Erlenmeyer les mangeât. Que voulez-vous proposer à quelqu'un qui n'aime ni boire, ni manger, et ne s'intéresse plus ni aux filles, ni aux garçons, s'était demandé François, reprenant un peu de champagne ?
- De la rentabilité !
- Pardon ?, avait sursauté le Parisien, se retournant vers Waylon, l'assistant. Vous disiez ?
- Vous aviez l'air de vous demander ce qui intéressait M. Erlenmeyer, répondit Waylon, toujours accroché à son attaché-case marron. Alors je vous répondais : ce qui l'intéresse c'est la rentabilité... Et les centres commerciaux ! Essentiellement parce que c'est très rentable d'ailleurs...
- Je crois que je commence à comprendre, avait répondu Valloire entre deux gorgées.
Le discours de Valloire devenait de moins en moins évident. L'alcool avait du lui troubler l'esprit le soir du match. La fin des évènements lui revenait difficilement. Il se souvenait bien avoir pensé à Gabriel Heinze, histoire de se remotiver un peu : l'Argentin abandonnait-il en route ? Non. Baissait-il les bras dans la difficulté ? Non.
Mais tout de même...
Valloire avait alors tenté de reprendre les choses en main avant le coup d'envoi. Il se revoyait courir s'assoire aux côtés d'Erlenmeyer et court-circuiter ainsi l'assistant aux lunettes monture sixties et à l'inamovible mallette cabine. En y repensant, c'était peut-être là qu'il fallait rechercher sa mauvaise décision. Mais sur l'instant, animé par la grinta de Gaby, il avait cru bien faire...
Alors que le speaker allait annoncer les compositions des équipes, François s'était donc jeté sur le fauteuil voisin de celui de l'actionnaire et avait commencé à lui présenter les différentes tribunes :
- M. Erlenmeyer, permettez-moi de vous montrer ceux qui font du Parc ce qu'il est vraiment : nos fans. A votre gauche, le Virage Auteuil. Les banderoles que vous voyez portent les noms des groupes de supporters. On appelle cela des bâches. A droite, c'est le Kop of Boulogne. Historiquement, c'est la première tribune à avoir accueilli une association.
Pendant ce temps, la sono grondait : Et maintenant, la présentation des équipes !
- Il n'est pas très rempli votre Kop de Boulogne, là. Et en ce qui me concerne, un siège vide, c'est de l'argent perdu !
François avait un peu tiqué, sentant sa joue se contracter nerveusement, de nouveau. Comment voulait-il que les tribunes soient pleines, alors que ce PSG – Lorient était programmé mi-aout, en semaine ?
- Euh... Mais certains abonnés sont en vacances, avait-il répondu. Ces sièges vides ne représentent pas forcément autant de places invendues...
On commence par l'équipe de Lorient !!!
- Mouais, avait répondu le banquier, dans un rictus. Sauf qu'ils auront du mal à nous acheter des hot-dogs s'ils ne sont pas là, vos supporters... Pour les rentrées d'argent des buvettes, c'est râpé... Mais bon, au delà de ça, pour nous autres investisseurs, l'objectif c'est aussi que les fans donnent une bonne image du groupe, de l'entreprise PSG.
- Alors là, l'avait rassuré François, c'est garanti. L'an passé, même relégable le club a toujours été soutenu. Jamais les fans n'ont lâché, et...
Numéro 16, et gardien de but...
- Non, avait coupé Erlenmeyer, je parle de fair-play. Pour nous, le PSG doit donner l'image d'un club respectueux de ses adversaires. Vous comprenez ?
Quand François essayait de se rappeler les détails, c'était là qu'il plaçait le moment où son oeil gauche s'était mis à papillonner...
- Euh... C'est-à-dire que là...
- Un public courtois, si vous voyez ce que je veux dire, avait précisé Erlenmeyer.
Le responsable des relations du PSG voyait très bien. Trop bien même...
Fabien... Audard !!!
... ENCULÉ !!!
Oh, François avait bien eu conscience que son sourire s'était crispé alors que le banquier se tournait vers lui, pour le dévisager. Seulement voilà, parfois les évènements vous dépassent.
- Mais, Valloire ! Qu'est-ce que ?...
Numéro 2, Mickaël... Ciani !!!
ENCULÉ...
Le Parisien avait ouvert la bouche, cherché une explication...
Numéro 3, Marc Boutruche !!!
ENCULÉ !
... avant de juger plus opportun de garder le silence, et de reprendre une gorgée de Roederer. Jusuq'à ce jour, il n'avait jamais remarqué que la présentation de l'équipe visiteuse était aussi longue...
Pour le bien de l'enquête, François essaya de rassembler les bribes de discussions qu'il parvenait encore à extraire de sa mémoire. Mais tout devenait si flou... Il y avait bien eu l'échange sur Pauleta. Valloire avait été tellement soulagé quand le Portugais avait ouvert le score...
- Vous voyez M. Erlenmeyer, je vous avais bien dit qu'avec un buteur de la trempe de Pauleta, le PSG allait prendre l'avantage !
Mais son entrain avait encore une fois été vite douché par le banquier :
- Ce gars là, finalement, il n'y a que lui qui marque des buts dans votre équipe ?
- On ne peut pas dire ça monsieur, mais c'est vrai qu'il a souvent fini meilleur buteur du PSG, voire de la L1, oui, avait répondu François, non sans fierté.
- Et donc c'est lui que votre coach ne fait jamais jouer parce qu'il veut le vendre, c'est bien ça ?
Uuuh... Comment voulez-vous tenir dans ces conditions-là sans en boire une autre, vous ?
Après, il y avait eu les commentaires sur Armand :
- Vous avez bien fait de refuser de le vendre à Lyon celui-là. L'ailier lorientais, ce Marin, il aurait été embêté face à un vrai latéral.
Un joueur qui avait prolongé au PSG alors que l'OL lui offrait un pont d'or ! Et cette saleté de tic qui lui donnait si mal à la tête pendant ce temps-là... De toutes façons, les joueurs y étaient tous passés, les uns après les autres.
Luyindula : « Ah, tiens, il est sur le terrain celui-là ? Je croyais que votre entraîneur l'avait sorti il y a dix minutes. Mais il est au courant qu'il a le droit de toucher le ballon ? »
Frau : « Je veux bien que son vrai poste ce soit attaquant et pas milieu droit, mais tout de même, les buteurs aussi devraient savoir faire une passe, non ? »
Etc.
Rien que d'en reparler, François sentait sa mâchoire se contracter.
Finalement, seul Gallardo avait été épargné. Quand ce dernier avait tenté sa super combinaison sur le coup-franc plein axe en fin de match, toute la tribune VIP avait retenu son souffle, Erlenmeyer y compris. Là, François y avait cru. Marcelo avait pris son élan, regardé à gauche subrepticement, anticipant l'appel de Diané seul dans la surface. Le responsable parisien croisait les doigts, debout. Le gardien Audard, signalait du gant le buteur du PSG, mais c'était déjà trop tard : Gallardo avait déjà frappé le ballon, et... rien.
Un tir foiré. Ou même pas. Une passe. Molle.
Le cuir avait roulé, délicatement, jusqu'au mur lorientais, qui avait pu s'en emparer avant de dérouler une contre attaque hyper dangereuse. Les Bretons avaient eu la politesse de ne pas trop rire sur le terrain. Quant à Erlenmeyer, il s'était contenté de regarder Valloire en hochant la tête.
La suite, avoua-t-il, ce sont les collègues du Parisien qui la lui avait racontée. Si les versions divergeaient sur quelques points de détails, l'essentiel de la chronologie semblait connue. François s'était mis à saigner du nez lorsque Lorient avait pris l'avantage, pour perdre l'usage de son bras gauche et de la moitié de son visage quand l'arbitre avait sifflé penalty à la 84ème. D'après les psychiatres de l'hôpital, c'était le mélange stress-champagne...
Ensuite, les choses s'étaient réellement gâtées quand le score était passé à trois à un. Erlenmeyer avait demandé si Landreau n'arrêtait vraiment que les penalties de Ronaldinho et François avait craqué. D'après tous les témoins, il avait essayé le lui jeter son plateau repas au visage, tout en le traitant de connard d'Amerloque. Ou en lui intimant de fermer sa gueule de vieux schnock, ça dépendait des témoignages... Juste avant son évanouissement, il semblait que la paralysie faciale de François ait rendu ses propos très délicats à saisir.
Dès sa sortie de l'hôpital, quelques jours de repos plus tard, le responsable des relations publiques s'était donc rué au siège du club, pour donner sa version des faits.
Prostré dans le fauteuil de cuir noir, François, la moitié gauche de la bouche encore légèrement envahie de bave essayait toujours de plaider sa cause. Peut-être lui restait-il encore une chance de conserver son boulot ?
- Mais je vous jure M. le président, je vais me ressaisir. Laissez-moi ma chance M. Cayzac, je vous en prie, je suis fait pour ce travail ! Les relations publiques c'est mon truc. Tout ça ne se reproduira plus.
Ses lunettes de soleil destinée à cacher les cernes causées par les calments empêchaient François d'analyser avec certitude la réaction du Président du Paris Saint-Germain. Il continuait donc, au cas où :
- Tenez, je suis sur que M. Erlenmeyer a déjà tout oublié. Pour me faire pardonner, je lui ai même fait un cadeau. Un vieux maillot du PSG, un vrai, porté par un joueur lors du match PSG – Valenciennes de 1974, celui de la montée en L1 ! Une rareté.
Un silence gêné pesa sur la pièce...
- Peut-être que si vous n'aviez pas essayé de l'étrangler avec sa propre cravate, j'aurais pu faire quelque chose pour vous François, mais là, vraiment...
Prochain épisode (début septembre) : La rentrée d'Adrien